On poursuit notre écriture de l’Histoire du yoga à travers ses textes fondateurs, avec l’étude des Yoga Sutras de Patanjali, LE texte de référence du yoga.
Que sont les Yoga Sutras ?
Les Yoga Sutras sont un recueil de phrases brèves (aphorismes), au nombre de 195. Ils constituent le premier texte (qui nous soit parvenu) traitant exclusivement du yoga.
Ils forment une sorte de codification de la pratique et de la philosophie du yoga. Ils sont destinés à servir de base à l’enseignement du yoga. Les Sutras sont en quelque sorte des phrases-clés, censées être expliqués par le maître à ses disciples.
Leur origine est incertaine. Ils auraient été écrits entre le Ier et le IIIe siècle avant J-C pour certains, entre le Ier et le Ve siècle de notre ère pour d’autres (ces dernières dates seraient plus probables). Pour certains, ils auraient été écrits par le sage Patanjali, dont on sait peu de choses (son existence même serait incertaine), pour d’autres ils seraient le fruit de plusieurs auteurs.
Quel but du yoga ?
Le yoga de Patanjali a le même but que celui de la Gita : la libération de la souffrance à travers la connaissance de la Vérité que l’on trouve en soi.
Cependant, contrairement à la Gita également empreinte du Vedanta (la pensée non-dualiste), les Yogas Sutras sont pleinement imprégnés de la philosophie dualiste dite du Samkhya. Le Samkhya est l’un des six principaux courants de pensée indiens (« darshana ») qui oppose deux principes fondamentaux, Purusha et Prakriti, l’esprit et la matière, la conscience et le monde, le Soi et la Nature. Dans cette conception, la connaissance et la libération de la souffrance et du cycle de réincarnation s’atteint par l’isolement du Soi : il s’agit de dégager le Soi, le principe spirituel, la conscience, du corps, de la nature, du monde matériel.
De plus, contrairement à la Gita qui est avant tout un texte religieux, le yoga de Patanjali est avant tout pratique et non idéologique : il apporte des outils à une quête spirituelle, sans en imposer le cadre. Il n’y a, dans les Yoga Sutras, aucune référence à des divinités, rites ou croyances spécifiques.
Ce qui fait la force, l’universalité et la modernité des Yoga Sutras, c’est que chacun peut s’approprier son enseignement dans le cadre de ses propres croyances et de son propre cheminement spirituel.
Le son qui le (le principe de vie) représente et le désigne est le AUM mais peut varier selon les cultures
Yoga Sutras, I, 27
Quelle définition du yoga ?
La définition du yoga est donnée dès le deuxième aphorisme :
Yoga citta vritti nirodha
Le yoga est l’arrêt des fluctuations du mental
Yoga Sutras, I, 2
Le yoga, c’est calmer le mental pour que le mental apaisé et dépouillé (du vécu, des expériences, des croyances, des jugements, des savoirs etc) puisse refléter la réalité telle qu’elle est, par une perception directe, au-delà des sens et de l’intellect.
Les agitations désordonnées et périphériques des pensées et émotions étant apaisées, tout comme le cristal reflète le support sur lequel il repose, vous êtes en état de réceptivité parfaite vis-à-vis des trois éléments qui sont présents dans une méditation. C’est à dire vis-à-vis du sujet, de l’objet et du processus de connaissance. Cet état s’appelle un état de méditation en toute conscience correspondant à un état d’unité fusionnelle.
Yoga Sutras, I, 41
Le yoga c’est libérer l’esprit de ses conditionnements pour voir la réalité de manière clairvoyante et nous rendre à notre nature originelle : un état de paix, de bonheur, de pure conscience.
Quelle pratique du yoga ?
Le yoga est à la fois cet état, et une méthode pour parvenir à cet état de libération.
Les Yoga Sutras présentent le yoga comme un chemin en huit étapes vers cet état : on parle d’Ashtanga yoga (yoga à huit branches).
Ces étapes décrivent les différents plans de l’être humain, depuis sa relation avec le monde extérieur jusqu’aux éléments les plus subtils de l’esprit, et ne sont pas à pratiquer successivement, mais conjointement.
Étapes 1 et 2 : les règles de conduite
Les premières étapes du yoga sont des règles éthiques. Les Yamas constituent la discipline relationnelle, les Niyamas la discipline personnelle, et chacun sont au nombre de 5. Elles permettent un premier apaisement du mental, une première prise de conscience.
Les Yamas (II, 30 – 39) guident nos comportements relationnels, pour vivre en harmonie avec les autres et être plus heureux, plus apaisé.
- ahimsa : la non-violence. Patanjali explique que la violence, qu’elle émane de soi ou des autres (or une attitude bienveillante vis-à-vis d’autrui amène une attitude bienveillante d’autrui vis-à-vis de soi), mène à la colère et à l’illusion, à la souffrance et à l’aveuglement.
- satya : la sincérité, la parole juste. Souvent traduit par « ne pas mentir », il s’agit plutôt d’aligner ses pensées avec ses paroles et ses actes. Patanjali explique que ce principe nourrit des relations plus simples et authentiques.
- asteya : ne pas voler, ne pas convoiter. Cela développe un sentiment de satisfaction, de contentement.
- bramacharya : la modération. De même que la Gita parlait d’équilibre, il s’agit de ne pas être l’esclave de ses désirs, d’être maître de soi.
- aparigraha : la sobriété, la non-avidité. Ce principe invite à ne pas accumuler et surconsommer, pour ne pas développer l’attachement, la possessivité et la perde de perdre, ce qui mènerait à de la souffrance. Cela nous conduit à apprécier le sens réel de l’existence, dans le présent et nous permet de devenir plus libres, plus disponibles.
Les Niyamas (II, 40-45) guident notre comportement avec nous-mêmes et permettent de vivre en harmonie avec soi et d’être plus apaisé.
- sauca : la pureté (du corps et de l’esprit). Il s’agit de diminuer les perturbations afin d’être plus apte à entrer en pleine conscience.
- santosha : le contentement. Un peu comme asteya, ce principe apporte un sentiment de gratitude.
- tapas : la discipline. On retrouve ici le terme « tapas » qui désignait les pratiques des ascètes. Ici, tapas signifie l’effort.
- svadhyaya : l’étude de soi, introspection. Apprendre à se connaître est la première étape vers la connaissance universelle.
- ishvara pranidhana : abandon à plus grand que soi. Il s’agit d’avoir une confiance totale en la vie, en soi et dans les autres, afin de se rapprocher de l’état d’unité.
Étapes 3, 4 et 5 : la pratique corporelle
Les étapes suivantes font référence au corps. Elles visent à calmer le corps et ainsi libérer le mental des tourments corporels et favoriser l’introspection.
La 3e étape est l’Asana : la posture, parfois aussi traduit par « la façon de s’assoir » (II,46). Un peu comme dans la Gita, la posture doit être propice à la méditation : il s’agit de trouver une posture stable et confortable, sans tension, afin de pouvoir se concentrer sur l’instant présent à travers l’attention placée sur la posture, loin des perturbations extérieures. Le yoga est une pratique avant tout méditative : nous sommes encore loin d’un yoga postural.
Les postures sont à la fois stables et confortables. Toute crispation doit être éliminée.
Yoga Sutras, II, 46.
La 4e étape est le Pranayama : le contrôle du souffle, parfois aussi traduit par la suspension du souffle (II,49). Le principe est d’éliminer les perturbations dont le souffle fait parfois l’objet, d’apaiser le corps et le mental à travers la respiration. En effet, tout est connecté : si le mental est agité, la respiration est saccadée ; calmer la respiration permet d’apaiser le mental.
Patanjali décrit la respiration yogique comme longue, subtile et consciente : le yogi prend conscience de l’amplitude, de le régularité, du rythme du souffle, ce qui nous ancre dans l’instant présent, à nouveau, loin des perturbations, et prépare le mental à un niveau de conscience plus élevé.
La 5e étape est pratyahara : le retrait des sens (II,54), que l’on retrouvait déjà dans les Upanishads et dans la Gita. Il s’agit de se détacher du monde qui nous entoure afin de se connecter pleinement à soi, mais aussi plus profondément de dissocier ses sens de leur champ d’expérience, se perception de la réalité, étape indispensable pour atteindre la connaissance.
Étapes 6, 7 et 8 : la pratique méditative
La 6e étape est Dharana, l’état de concentration. Cela consiste en placer l’attention sur un objet précis : la respiration, la flamme d’une bougie, un mantra, les pensées, les sensations corporelles, les émotions…
La 7e étape est Dhyana, l’état de méditation. Dharana est un état d’attention par moments, Dhyana est un état de concentration permanente, sans distractions, sans besoin de fixer ses pensées sur un objet, un état de contemplation : on devient détaché, simple observateur, témoin des différentes manifestations du réel.
La 8e étape est Samadhi, la méditation en toute conscience. Cette étape correspond à l’état ultime de libération et d’union, la réalisation du soi : le soi se confond avec la conscience qui elle-même rejoint l’Absolu. Il n’y a plus d’ego, mais une conscience universelle.
Méditer en toute conscience c’est en effet défaire l’existence de toutes choses de la perception que l’on en a, c’est percevoir les choses pour ce qu’elles sont.
La pratique de la méditation en toute conscience sur un objet vous donne une connaissance profonde de cet objet exactement comme si vous étiez devenu vous-même l’objet. Vous le vivez pleinement et totalement. Ceci quelque soit l’objet de l’identification, objet, personne, lieu, événement…
Yoga Sutras, III, 5.
Dans le chapitre III, Patanjali explique que l’on peut tout comprendre et tout maîtriser en pratiquant la méditation en toute conscience.
Lorsque vous avez une parfaite compréhension de la différence qui existe entre la conscience et les différents processus mentaux qui sont toujours agités et accaparés par la tourmente de la vie, cela vous permet d’avoir une parfaite maîtrise et une connaissance complète de tout ce qui est manifesté.
Yoga Sutras, III, 49.
Les Yoga Sutras sont un texte intense, aux allures philosophiques et métaphysiques. Ils décrivent un yoga qui se pratique au quotidien, à travers les comportements que l’on adopte et la perception même de la réalité : si comme aujourd’hui le yoga a pour but d’être apaisé, il cherche originellement profondément cet état de calme à travers la libération de la souffrance et la connaissance véritable.
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